Anaïs a 34 ans, travaille dans la tech, et est la maman d’Iris, âgée de 4 ans. Elle aborde avec nous son expérience de la maternité, surprenante, bouleversante, violente, qui a fait naître en elle un besoin profond de partager. Décrire, écrire la douleur, les émotions, l’amour, les angoisses, les injustices, les questionnements, est devenu son quotidien. Pour que tout cela reste. Pour que tout cela serve.
15 JOURS
L’annonce de ma grossesse a été un moment extrêmement ambivalent. Avec mon mari Paul, nous revenions de lune de miel, et on pensait avoir quelques mois devant nous avant d’obtenir un test de grossesse positif. Ah mais pas du tout ! Bim bam boum, je suis tombée enceinte en 14 jours ! Ça a été vraiment une grosse claque parce que je ne m'y attendais pas du tout. Ayant des problématiques et des douleurs utérines, je pensais réellement que cela allait mettre du temps. Je n’ai donc pas connu de difficultés à tomber enceinte, mais beaucoup plus à digérer l'information... Je n’étais clairement pas prête psychologiquement : dans ma tête se mélangeaient stress, appréhension du changement, et évidemment, peur de l’inconnu. Je n’avais en revanche aucun doute sur le fait de garder cet enfant.
9 MOIS
Très tôt, mon gynécologue a détecté un décollement. Verdict : repos forcé pendant un mois. Entre la confirmation de ma grossesse, et les recommandations du médecin, ce début de grossesse était vraiment difficile à vivre. Je n’avais pas de ventre, pas de symptômes notables, tout ça était donc très flou, très abstrait… Au début, je me suis dit que je pouvais tout de même passer l’aspirateur ou faire quelques activités, mais dès que mon corps était soumis à l'effort, j'avais des tiraillements dans l'utérus. J'ai compris qu’il fallait rester vraiment allongée, et j’ai suivi à la lettre le traitement prescrit pour limiter le risque de fausse couche. Au bout de ce mois total de repos, le décollement s’est résorbé, et j’ai pu retourner travailler. Mais j’étais très fatiguée, et cela ne s’est pas limité au premier trimestre. A mon quatrième mois de grossesse, tout s’est de nouveau compliqué : je n’arrivais déjà plus à dormir, mon ventre se durcissait, mais je pensais que je sentais simplement ma fille qui bougeait, je ne comprenais pas que c’était déjà des contractions. J’ai donc été arrêtée au cinquième mois, mon gynécologue m’a bien fait comprendre que je ne retournerai pas travailler avant l’arrivée de mon bébé. Bim, une autre nouvelle abrupte à digérer. Au-delà de l’inquiétude que j’avais pour mon bébé et moi-même, j’étais rongée de culpabilité à l’idée de l’annoncer à mon employeuse. Elle n’avait déjà pas bien pris l’annonce de ma grossesse, donc j’étais très anxieuse de devoir lui transmettre ce nouvel arrêt. C’est aberrant de ressentir cette pression, non ? Je me suis remise en mode repos forcé, avec une sage-femme qui venait à la maison checker deux fois par semaine que tout aille bien. Quand ta famille n’habite pas à côté, que ton conjoint travaille en présentiel, c’est une période très solitaire. Netflix est devenu mon meilleur ami ! Et pour me préparer psychologiquement et physiquement à ce grand chamboulement qui arrive, je me suis tout de même accordée une visite par mois chez un sophrologue, et j’ai beaucoup, beaucoup, beaucoup lu. Je me suis renseignée sur les différents types de parentalité qui existent, sur l’éducation, les émotions, mais aucune lecture sur la période qui allait arriver après mon accouchement, le fameux post-partum.
Mon bébé est arrivé deux jours avant terme. Pour quelqu’un qui risquait d’accoucher prématurément, bon, c’est une performance (rires…) ! Vous pensez bien : je voulais un accouchement sans péridurale, en salle nature, la totale, et cela aurait été une jolie histoire pour clôturer cette grossesse alitée. Mais… non (rires…) ! Je n’aurais pas créé mon compte Instagram et je ne vous parlerais pas aujourd’hui si cela avait été le cas !
J’ai mis quasi 48 heures à accoucher, avec des contractions hyper douloureuses, un col qui ne voulait pas s'ouvrir, des forces évidemment épuisées, et une césarienne d’urgence comme dernière séquence du film. Même si on connaît la possibilité de ce scénario, nous n’y sommes pas assez préparées, et c’est du coup d’une violence terrible. L’opération en elle-même, les calmants qu’ils te donnent, les agrafes qui ne tiennent pas et ma cicatrice ainsi béante... Et bien sûr, on te demande de marcher quelques heures plus tard, avec ta sonde urinaire entre les jambes. J’ai très, très mal vécu ce moment.
24 MOIS
Parmi ce chaos, j’avais mon Iris, mon petit bébé tout calme, qui ne pleurait pas. Peut-être qu’elle sentait qu’il me fallait de l’apaisement, je ne sais pas. Nous sommes sorties de la maternité au bout de cinq jours. Mais je n'allais pas bien, j'avais de la fièvre, des sueurs froides, et cela a duré quelques semaines. Fatiguée, et en même temps fascinée par le petit être à qui j’avais donné la vie, j’ai clairement silencié mon état de santé.
Je calmais mon mal physique à coups de doliprane, et je tenais bon. Ce n’est qu’en me faisant un peu chambouler par mon amoureux et ma soeur un jour - lorsqu'ils m'ont dit que ma cicatrice n’était vraiment pas jolie et odorante et qu’il fallait que je consulte, que j’ai pris conscience que mon corps était peut-être en état de dysfonctionnement, et qu’il fallait que j’écoute ses signaux.
Je n’en rajoute pas en vous disant qu’ils m’ont sauvé la vie. En retournant à l’hôpital pour consulter d’urgence, on m’a bien validé que ma cicatrice était en état de putréfaction, et que j'avais une inflammation de la muqueuse de l'utérus (endométrite post-partum). J’ai été immédiatement mise sous antibiotiques, ce qui a enfin amélioré les choses. Les semaines qui ont suivi ont été très dures, j’avais du mal à digérer tout ce que j’avais vécu, toutes ces émotions et ressentis physiques contradictoires. J’ai mis 12 mois pour comprendre que j’étais en état de choc post-traumatique. Et 24 vrais mois pour aller mieux. Il est URGENT que la santé mentale soit prise au sérieux et de manière concrète au sein de notre société. Oui, il y a pire ailleurs, mais oui, il y a aussi mieux. Dans la période la plus importante de leur vie notamment, les femmes méritent un accompagnement bien plus soutenu, bienveillant, et pérenne.
En attendant que les choses bougent, j’écris pour partager, pour dire aux autres femmes qu’elles ne sont pas seules, et qu’il n’y a rien de honteux à ressentir ce tourbillon. Rien de tabou. Mon compte Instagram et mon blog ne sont pas une thérapie. Quand j’écris, quel que soit le sujet, c’est que je suis enfin en paix avec ce dernier. Et je souhaite à chacune d’arriver à trouver sa manière de l’être également.